« Comme l’amour de la justice est la première qualité d’un juge, aussi la première qualité d’un historien est l’amour et la recherche de la vérité des choses passées. » (Jean Mabillon, Brèves réflexions sur quelques règles de l’histoire)

C’est un rapport qui soulève bien des inquiétudes. Publié en 2022 par l’UNESCO en anglais, il est intitulé History under attack : Holocaust denial and distortion ; ce qui peut se traduire par « l’histoire attaquée : négation de l’Holocauste et distorsion sur les réseaux sociaux ». Fondé sur le recensement des messages « relatifs à l’Holocauste qui nient ou déforment ces contenus », dans les médias sociaux les plus puissants — Facebook, Instagram, Telegram, TikTok et Twitter —, ce rapport montre que sur l’ensemble de ces plateformes, 16,4 % des contenus d’un échantillon d’éléments ayant trait à l’Holocauste sont négationnistes. Ce résultat cache toutefois de grandes différences puisque si sur TikTok ce sont 17 % des contenus qui nient ou déforment l’Holocauste, en revanche sur Telegram, la proportion atteint 50 % des contenus. Enfin, les avancées technologiques promises par l’intelligence artificielle sont loin d’être rassurantes, dans la mesure où celle-ci accroît les capacités de manipulation des sources et des témoignages et risque de rendre encore plus difficile l’identification du mensonge. 

Le négationnisme n’est pas une nouveauté. Apparu dans les lendemains immédiats de la Seconde Guerre mondiale, il a longtemps été limité à des cercles étroits de nostalgiques du nazisme ou de la collaboration. Internet lui offre désormais une caisse de résonance d’une exceptionnelle puissance. L’intérêt majeur de ce rapport est de montrer comment les pourvoyeurs de contenus négationnistes contournent aujourd’hui les lois qui dans beaucoup de pays européens criminalisent le négationnisme, en pratiquant la « distorsion » de la Shoah. Celle-ci revêt des formes diverses. Il y a les blagues qui, sous couvert d’un humour prétendument décomplexé, se moquent des connaissances admises sur la Shoah et en dénaturent le sens. Plus traditionnelles, les affirmations qui rendent les Juifs eux-mêmes responsables de l’Holocauste, assimilent Israël à un État nazi, prétendent que la Shoah a été inventée par les Juifs pour servir leurs intérêts ou, enfin, mettent sur un pied d’égalité « l’étoile jaune » et le passe-sanitaire et banalisent l’histoire de l’Holocauste. Si ce négationnisme se pare de nouveaux habits numériques, le ressort profond de cette « distorsion » de la Shoah demeure encore et toujours l’antisémitisme. 

Toutes les couches de la société peuvent être la cible de ces discours de haine et notamment les plus jeunes. Contrairement à ce qu’observaient les éducateurs il y a quelques années, le public scolaire est aujourd’hui loin d’être vierge de représentations sur la Shoah. Or, celles-ci sont désormais largement issues de la fréquentation des réseaux sociaux. Comment dès lors enseigner la Shoah quand celle-ci est la cible de déformations aussi grossières de la vérité historique ? Si l’action des associations et des hommes politiques pour doter les plateformes d’instruments juridiques de modération plus efficaces est indispensable, elle n’est toutefois pas suffisante. Sans doute est-il aussi nécessaire d’accroître la place de l’éducation aux médias et à l’information dans une perspective de formation du citoyen ; c’est un des objectifs de la réforme de l’enseignement moral et civique en préparation. Néanmoins, là encore, on peut douter que cela soit suffisant. Le principal rempart contre la « distorsion » demeure l’enseignement de l’histoire. Il doit être appuyé sur la vulgarisation, d’une part, des connaissances les mieux établies sur la Shoah et, d’autre part, des méthodes de lecture critique des sources orales et écrites à la base de tout travail d’historien. 

Que l’enseignement de la Shoah soit une activité sous tension est une évidence. Mais l’ampleur des menaces numériques qui le fragilisent impose désormais aux éducateurs de renforcer sa vocation première : « la recherche de la vérité ». C’est aussi l’ambition de toutes les actions menées par la commission « Mémoire » du CRIF. 

Gérald Attali

Président de la commission « Mémoire » du CRIF Marseille-Provence