Discours de Monsieur Bruno Benjamin, Président du CRIF Marseille Provence, 

à l’occasion de la cérémonie pour la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites.

Dimanche 19 juillet 2020

 

« Monsieur le Préfet,

Madame la Maire de Marseille,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Associations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme,

Chers amis,

« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Ce funeste avertissement, souvent prêté à Winston Churchill, demeure une réalité. 

Si je le rappelle aujourd’hui, après tout ce qui vient d’être dit, c’est parce que l’ombre noire de l’antisémitisme reflète encore le mal. Certes, cet antisémitisme-là n’a pas le visage effroyable de l’avant-guerre, mais il prospère toujours sur un terreau malsain. Que ce soit en certains endroits du territoire ou sur les réseaux sociaux, l’antisémitisme se manifeste par une haine aveugle des Juifs. C’est toujours cette profonde aversion du Juif qui s’érige en juge vengeur et souvent de manière sanglante.

Les assassinats du jeune Sébastien Selam en 2003, celui d’Ilan Halimi, torturé et tué en 2006, des élèves et de leur professeur de l’école Ozar Hatorah de Toulouse en 2012, des clients de l’Hyper Casher en 2015, de Sarah Halimi et Mireille Knoll en 2017 et 2018, sont gravés à jamais dans nos mémoires.

Leurs noms s’ajoutent à la liste déjà longue des victimes de l’intolérance et de la brutalité, les deux mamelles de la barbarie. Aussi, convient-il d’honorer leur mémoire avec les 13.152 hommes, femmes et enfants dont nous évoquons aujourd’hui le tragique destin.

Des événements qui nous interpellent parce que, précisément, ils ont eu lieu en France. Comme l’a dit le président Jacques Chirac en 1995 au Vel’ d’Hiv, sur le lieu même de ce crime, « la France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, accomplit l’irréparable ce 16 juillet 1942. Manquant à sa parole, elle livra ses protégés à ses bourreaux. »

Une opération préméditée, voulue par Hitler lui-même et servilement exécutée par le gouvernement de Pierre Laval au terme de négociations menées par René Bousquet, alors secrétaire général de la Police nationale. Car aucun soldat allemand n’y participa.

La préméditation est attestée par les faits. Pour venger le général Heydrich, abattu en Pologne un mois plus tôt, la rafle visait à la déportation de 22 000 juifs de la région parisienne.

A l’aube de ce 16 juillet frisquet, des policiers tiraient des malheureux de leur sommeil en hurlant dans les haut-parleurs, en aboyant des ordres, en défonçant des portes. Pour se sauver, les plus valides se jetaient par les fenêtres, des malades succombaient à des crises cardiaques ; d’autres, handicapés ou perclus de fatigue, de froid ou de douleur restaient figés, tétanisés, tandis que des familles entières, bousculés sans ménagement, se retrouvaient dans la rue. Quelques minutes plus tard, tout ce monde hagard, soudainement frappé, était conduit au Vel’ d’Hiv  dans des camions.

Du 16 au 22 juillet, parqués dans les pires conditions de promiscuité, ces malheureux furent privés de nourriture, d’eau potable, dormant la nuit à même le sol, sous l’incommodante lumière des projecteurs braqués sur eux.

On ne pourra jamais oublier ces vieillards épouvantés, transis de froid et d’effroi, ces mamans serrant leurs petits dans leurs bras, la fragilité des plus vulnérables, et la détresse de tous les autres dont les visages exprimaient l’angoisse exacerbée par le sentiment d’une ignoble ségrégation.

Lieu-symbole des persécutions contre les Juifs, le Vel’ d’Hiv  fut aussi  un attentat perpétré contre l’enfance et la jeunesse. Conscients de cette ignominie, des policiers bons pères de famille, profondément humains, fermèrent les yeux quand certains s’enfuirent pour aller se réfugier chez des voisins. Des hommes et des femmes qui, au risque de se voir arrêtés, jugés et condamnés, n’hésitèrent pas à ouvrir leurs portes pour sauver des vies.

C’est sans doute ce qui explique une singulière démonstration de dignité et de générosité dans la plus grande discrétion : le refus d’assister impuissants à l’arrestation de ces milliers de personnes, dont 4000 enfants de moins de 16 ans.

Ce jour-là, ces voisins courageux  incarnèrent les Justes dans l’honneur et la fraternité. Exemples de justice, porteurs des plus hautes valeurs morales. La mémoire des justes des nations ne doit pas faiblir, nous devons la rappeler sans interruption car ils ont été la conscience scrupuleuse de ce monde troublé par l’insensé.

La vérité est dure, cruelle, mais le Vel d’Hiv fut un crime contre la France, une trahison de ses valeurs.

Car hier comme aujourd’hui, l’antisémitisme n’est pas une opinion mais une abjection.

Avec sa référence au passé, je souhaite que cette cérémonie soit un rappel à l’égard des milliers de déportés et de morts, qu’elle soit aussi un appel à la vigilance car la bête répugnante rôde toujours, et une exhortation à ne jamais oublier, comme l’aurait encore dit Winston Churchill, que l’histoire est tragique. »