Les fouilles menées dans les sous-sols de la vieille-ville, contestées par les Palestiniens, suscitent une polémique. Mais l’archéologie confirme le récit centré sur l’histoire juive du lieu où David fonda son royaume.
Jérusalem est une ville profonde. Des couches d’histoire y sont empilées les unes sur les autres. L’impression d’ensemble est celle d’une trame urbaine serrée, où l’on a tiré parti de tout l’espace utilisable. Rien n’est neutre dans ce mille-feuille. La moindre parcelle de terrain recèle une mémoire. Dans les rues de la vieille ville, chaque pas est une incursion dans un passé lointain. Jadis petit canton au coeur de la Judée, d’où partaient les routes pour atteindre soit le Jourdain, soit la Méditerranée, c’est là où David établit son royaume et que s’est écrite l’histoire du peuple juif. Les événements heureux ou tragiques, qui s’y sont succédé depuis, ne sauraient effacer ou occulter ce fait.
“Au temps du Christ, écrit l’académicien français Daniel-Rops, il y avait dix siècles que Jérusalem était le centre sacré du Peuple de Dieu. Les textes saints notaient avec soin les agrandissements successifs qu’elle avait reçus. Comment l’illustre Salomon, fis de David, avait relié la cité de son père, par un terre-plein, au Moriah, ses palais et son temple; comment il avait protégé sa capitale par une enceinte , construite sur la colline occidentale., le “premier mur”, celui dont la Porte d’Ephraïm et la Tour d’Angle marquaient la face septentrionale; comment surtout il avait entrepris, avec l’aide de son ami phénicien le roi Hyram de Tyr, en mobilisant une main-d’oeuvre de 153 600 hommes, la construction du temple, le plus grand, le plus beau, le plus fastueusement décoré qui jamais fût.”
C’est dans ce périmètre, ou plus exactement aux abords de l’Esplanade des mosquées (appelé mont du Temple par les juifs) que des travaux souterrains sont actuellement menés. Objectif de ce vaste chantier: dégager les fondations souterraines du Temple, opération engagée dès les années 1970, après la conquête de Jérusalem-est par l’armée israélienne, et dont le rythme s’est intensifié. Officiellement, il s’agit d’améliorer les connaissances historiques d’un site qui ne se résume pas au seul bornage chronologique. Il convient de se faire une idée de ce qu’était la ville, il y a plus de deux mille ans, et de reconstituer autant que faire se peut la vie dans cette cité dont la topographie est bien relativement bien connue. Depuis les destructions de Titus en 70 de notre ère, Jérusalem a subi des modifications qui ont changé sa physionomie.
S’approprier un patrimoine
Il y a ici la volonté de permettre à chaque habitant de la ville sainte de s’approprier autant un passé qu’un patrimoine. Comme on pouvait s’y attendre, parce que le sujet sensible déchaîne vite les passions, les Palestiniens émettent des réserves : ils craignent d’être arrachés de leur racine. Mais les Israéliens, et à travers eux les juifs du monde entier, ne peuvent ignorer les pans entiers de leur histoire qui expliquent ce qu’ils sont, et il n’est sans doute pas inutile de les leur raconter pour mieux les leur rappeler. Tel est l’enjeu. Confronté par un ensemble d’éléments de toutes sortes, la cité davidique se livre donc à sa propre radioscopie en permettant aux archéologues de mieux l’interpréter. D’où le souci aussi, pour les promoteurs de ces vastes travaux, de s’appuyer sur l’archéologie pour promouvoir le tourisme.
De ce noyau originel où tout est parti, on peut dire qu’il s’agit aussi d’une forme de méditation sur l’urbanité dans la longue durée. La moisson est telle que des dizaines d’articles scientifiques ont été publiés sur l’exploration des sous-sols. Chacun s’attache à valoriser un lieu évocateur de la Jérusalem biblique, laquelle renvoie à la profondeur historique de la cité du Très-Haut : la tour fortifiée qui protégeait la source du Gihon, la localisation du bassin de Siloë ou encore la découverte de nombreux sceaux qui, selon les spécialistes, témoignent de l’ancienneté de la présence juive. La mise au jour de tunnels, en particulier celui du temps d’Hérode long de 700 mètres, et les fouilles supervisées par l’Autorité israélienne des antiquités, ont permis, ces dernières années, à des milliers de visiteurs, d’arpenter la “Cité de David”, en débouchant dans le quartier juif de la Vieille Ville sans apercevoir les maisons palestiniennes.
“La mise au jour des tunnels a permis d’exposer au monde entier le passé juif de ce lieu où, selon certains archéologues, s’élevait il y a trois mille ans le palais du roi David,” déclarait récemment au “Figaro” Zeev Orenstein, porte-parole du complexe touristique aménagé sur les hauteurs de Silwan, un quartier de Jérusalem-est qui concentre quelques très anciens vestiges.
Bref, c’est tout le passé juif qui surgit à travers les grandes heures de la Jérusalem antique. Un patrimoine qui n’est ni figé ni exclu de la vie quotidienne. Avec des moyens appropriés, on lui fait prendre le tournant de la modernité pour qu’il soit vécu autrement qu’un musée ou une ville parallèle. Malgré la polémique…
G. Chakra