La suspension de la refonte des programmes d’histoire-géographie du collège, initialement prévue pour la rentrée 2026, constitue un tournant préoccupant dans la politique éducative française[1]. Alors que le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) avait publié en juin 2025 des projets destinés à renouveler l’enseignement des cycles 2 à 4, le ministère de l’Éducation nationale n’a fourni aucune garantie quant à leur mise en œuvre. Cette incertitude intervient dans un contexte marqué par une recrudescence de l’antisémitisme, révélant les limites d’un enseignement historique fragmenté et daté.

Les programmes actuellement en vigueur, élaborés en 2016, s’inscrivaient dans une logique de transversalité et de mise en activité des élèves, en cohérence avec le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Si cette orientation a pu favoriser certaines avancées pédagogiques, elle a également contribué à une dilution des savoirs disciplinaires. L’histoire du judaïsme et de l’antisémitisme y apparaît de manière marginale, cantonnée à l’Antiquité et au XXe siècle, sans continuité ni contextualisation dans le temps long. Cette approche tronquée limite la compréhension des dynamiques historiques et nourrit des confusions dangereuses.

Les enquêtes récentes montrent que l’ignorance historique constitue un facteur aggravant dans la propagation des discours de haine. Assimiler Israël au régime nazi ou réduire l’antisémitisme à sa seule dimension racialiste témoigne d’une méconnaissance profonde des processus historiques. Dans ce contexte, l’école, en tant qu’institution républicaine, ne peut se soustraire à sa responsabilité de transmission critique et rigoureuse des savoirs.

Les projets du CSP visaient précisément à combler ces lacunes : réinscrire le judaïsme dans l’histoire des sociétés, diversifier les angles d’approche, articuler mémoire et histoire. Ils offraient une opportunité de refonder l’enseignement historique sur des bases plus solides, plus inclusives et plus exigeantes sur le plan intellectuel. Leur suspension, voire leur abandon, constitue un recul préoccupant, tant sur le plan éducatif que civique.

Il ne s’agit pas de plaider pour une instrumentalisation politique des programmes, mais de rappeler que l’histoire scolaire est un vecteur essentiel de formation citoyenne. Refonder les contenus, c’est permettre aux élèves de comprendre les dynamiques sociales, religieuses et politiques qui structurent le monde contemporain. C’est leur offrir les outils pour penser la complexité, déconstruire les préjugés et s’inscrire dans une culture démocratique.

En ce sens, la refonte des programmes d’histoire ne relève pas d’un ajustement technique, mais d’une nécessité éducative et civique. Elle doit être pensée comme un levier de lutte contre les discriminations, un rempart contre les radicalisations, et un espace de construction du commun.

Gérald Attali, président de la commission éducation, mémoire et transmission du CRIF Marseille-Provence (9/11/2025)


[1] Communiqué l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) publié le mercredi 23 juillet 2025 https://www.aphg.fr/Rumeurs-feutrees-et-silences-sonores-Au-sujet-des-projets-de-nouveaux